Une chrétienne en terre communiste Spécial
Poétesse, assistante sociale, mystique et catholique engagée, Madeleine Delbrêl a vécu presque trente ans à Ivry-sur-Seine, près de Paris. Restaurée, sa maison a à nouveau été ouverte au public en 2020. Visite et échanges avec ses habitants actuels afin de mieux connaître une figure spirituelle majeure du 20e siècle.
«Habiter ici change complètement ma vie. Depuis deux ans, je rencontre plus de gens que je n’en ai jamais rencontré», me confie Jean-Christophe Brelle, diacre de la Mission de France (MDF). Avec son épouse Marie-Noëlle, qui était membre de l’équipe responsable du séminaire de la MDF, il vit depuis 2020 dans la maison de Madeleine Delbrêl et ses compagnes, à Ivry-sur-Seine, dans la banlieue sud de Paris, aujourd’hui propriété de la ville d’Ivry. Ils ont vendu la maison qu’ils possédaient dans la cité voisine pour vivre au 11, rue Raspail, au centre-ville. Madeleine y a résidé d’avril 1935 à sa mort à sa table de travail le 13 octobre 1964.
«Strictement athée» à l’adolescence, elle avait vécu à 20 ans «une conversion violente»: «J’avais été et je reste éblouie par Dieu». Dès lors, elle cherchait à s’engager au nom de sa foi. Elle avait trouvé à Ivry, ville marxiste, un lieu où s’enraciner et se déployer.
Avec quelques compagnes laïques et célibataires, elle y a fondé le groupe de «La Charité» pour vivre «un coude-à-coude fraternel avec les incroyants et les pauvres», dialoguer avec les communistes et partager l’amour de Dieu. C’est là que celle qui fut poète, assistante sociale, mystique, femme d’Evangile et de prière a rédigé l’essentiel de son œuvre. Vivant et travaillant en grande proximité avec les communistes et les incroyants. «Je suis venue à Ivry parce qu’on m’avait dit qu’il y avait là des gens incroyants et pauvres.» «Ivry fut mon école de foi appliquée», témoigne-t-elle dans La joie de croire. Assistante sociale, Madeleine y a collaboré avec les services municipaux.
Une maison ouverte
Jean-Christophe, ancien responsable informatique au Conseil départemental du Val-de-Marne, et Marie-Noëlle, qui était médecin, ont répondu à l’appel de la MDF, du diocèse de Créteil et de l’Association des amis de Madeleine Delbrêl pour habiter et animer la maison au quotidien, en faire un lieu de rencontre, d’écoute, d’échanges, de partage et de spiritualité. «Cette maison n’est pas un musée!, s’exclame Jean-Christophe. Elle est un lieu de mémoire cultivant l’œuvre de Madeleine et de ses équipières sans nostalgie, mais dans une fidélité à ce qui a été vécu ici pour tenter de le traduire dans le langage de nos contemporains.»
«C’est une responsabilité et une exigence: nous assurons ici une présence qui s’enracine dans la prière en fidélité à ce qu’a dit et vécu Madeleine. Interpellés par la question qu’elle pose au monde: ‘Que signifie recevoir Dieu dans sa vie?’, nous tentons de l’incarner dans l’hospitalité.» Marie-Noëlle a inscrit son choix dans le sillage de Madeleine avec le souci de «m’engager au nom de ma foi pour aujourd’hui». La pensée de Madeleine nourrit le couple: «Elle m’invite à vivre à fond au quotidien le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain», relève Jean-Christophe.
Ils sont secondés par une équipe de bénévoles de l’Association des amis de Madeleine Delbrêl. Outre l’accueil, ils invitent à découvrir la vie et la spiritualité de cette dernière, proposant un parcours sur ses pas; des lectures partagées de plusieurs de ses textes; et des rencontres sur des thèmes d’actualité. La visite compte trois étapes: la maison, le jardin, le bâtiment «Ibery», à la place de l’ancien atelier. A chacune d’entre elles, des objets et des textes permettent de découvrir la vie, la pensée et l’action de Madeleine et de ses équipières.
Présence de Madeleine
Ouverte au public le 17 octobre 2020, la maison rénovée accueille toute l’année visiteurs, pèlerins et curieux. On y pénètre par un porche qui de la rue conduit au jardin. Le mur de droite est recouvert d’affiches en noir et blanc présentant la ville d’Ivry des années 1930 à 1960: ville rouge comptant quelque 300 usines qui attirent nombre de provinciaux en quête de travail, avec son lot de pauvreté, d’insalubrité et de problèmes sociaux. L’atmosphère que Madeleine a connue.
On entre dans la maison par l’arrière. Au rez-de-chaussée, la pièce qui servait de chambre et de bureau à Madeleine. C’est ici qu’elle vivait, accueillait, écrivait, priait, la porte toujours ouverte, l’oreille attentive à toutes les misères. Côté rue, un grand portrait photographique de Madeleine, sur le mur adjacent des portraits tracés de sa main. Une tablette numérique permet au visiteur de voir des photos d’objets lui ayant appartenu dont son exemplaire du Nouveau Testament souligné au stylo à bille rouge – chaque semaine, ici, elle le lisait et le méditait avec ses équipières.
Côté jardin, sur la grande table en bois au centre entourée de quelques chaises, des objets et des ouvrages lui ayant appartenu: son livret d’infirmière, un agenda, des livres, ses lunettes, un cendrier, une cafetière, une carte du monde, des cartes et des photos de pays où se trouvaient des équipières et des amis ainsi que les lieux où elle espérait que Dieu serait connu un jour; son missel, son «herbier», qu’elle emportait chaque matin pour la messe à l’église paroissiale Saint-Pierre-saint-Paul. Une pièce témoin de tant de gestes d’humanité!
Dans la pièce voisine, qui servait de salle à manger, tout un pan de mur est occupé par une bibliothèque composée de tablettes sur lesquelles figurent des citations tirées des œuvres de Madeleine, des extraits de lettres, des documents et des photos relatives aux équipières ainsi qu’aux amis de «La Charité».
Un cheminement spirituel
La visite se poursuit dans le jardin. Le long du parcours sont disposés cinq kiosques pour des haltes méditatives. Chacun propose une photo et un texte de Madeleine dont on peut entendre la voix en poussant sur un bouton: autant d’aspects de cette femme engagée à différents moments de sa vie. Des carrés sont cultivés par des écoliers d’Ivry, faisant du jardin un lieu de partage entre générations. Un olivier planté par des catholiques et des musulmans témoigne de leur «engagement pour le dialogue, la paix et contre toutes les violences».
Au fond du jardin, l’ancien atelier de touron de la coopérative Ibéry, créée en 1952 par Madeleine avec Carmen Cuevas et Alberto Codina, réfugiés politiques espagnols rescapés des camps de Ravensbrück et Mauthausen. Réaménagé et modernisé, il offre une salle pouvant accueillir 50 personnes pour des conférences, des débats, des films. Livres, brochures et cartes sont en vente à l’entrée. L’étage abrite le secrétariat de l’Association des amis de Madeleine Delbrêl ainsi que les archives.
La sainteté au quotidien
La mission de Madeleine et de ses équipières consiste d’abord à laisser le Christ agir en elles pour «donner l’amour de la part de Dieu». Les équipes de «La Charité», inspirées par Charles de Foucauld, se veulent une présence au milieu des foules, dans les transports publics; des «îlots de résidence divine» pour des «gens qui font un travail ordinaire, qui ont un foyer ordinaire ou sont des célibataires ordinaires. Des gens qui ont des maladies ordinaires, des deuils ordinaires. Des gens qui ont une maison ordinaire, des vêtements ordinaires», écrit Madeleine dans Nous autres, gens des rues, son livre le plus connu. Convaincue que «cette rue, que ce monde où Dieu nous a mis est pour nous le lieu de notre sainteté» et que les actes les plus simples ont un sens. Madeleine et ses équipières mènent une vie modeste axée sur la méditation et la mise en pratique de la Parole de Dieu, une vie fraternelle et contagieuse de joie afin de «partir vers ce qui arrive». Elles peuvent «aller vite là où il faut se rendre vite; rebondir là où les sociétés se transforment brutalement; évoluer au rythme même des évolutions humaines», lit-on dans La conversion du cœur.
Vivre l’Evangile ensemble
La communauté d’Ivry-sur-Seine se veut foyer «d’une vie de charité simple, contagieuse et fraternelle». Ni règle ni consécration: «Nous croyons que l’Evangile a été écrit pour être vécu et nous pensons que Dieu nous appelle à le vivre ensemble». Leur voie? «C’est la vie, tout simplement. La vie qui coule, et dans laquelle nous allons si nos amarres sont levées.» Les équipières veulent laisser transparaître Dieu dans leurs vies, écrit Madeleine dans La joie de croire.
C’est dans le partage des soucis et des responsabilités qu’elle a mené une existence contemplative et mystique. Et c’est bien cette transparence à l’amour de Dieu et cette proximité avec les femmes et les hommes de son temps qui ont valu à cette énergique Gasconne d’être déclarée vénérable par le pape François en 2018.
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