Une carte à jouer Spécial
C’est une pratique qui se perd, et c’est bien malheureux car elle ne manque pas de charme: on devrait écrire davantage de cartes postales. Pas celles que l’on expédie rapidement – dans tous les sens du terme – dès l’arrivée en vacances ou au dernier moment en espérant qu’il y aura une boîte postale à la gare. Ni celles adressées par devoir parce que telle voisine nous en a envoyé une ou que grand-père a glissé un billet pour le voyage. Mais les autres, celles qui disent quelque chose du lieu, du moment, de l’expérience – certains écrivent même un brouillon, comme on le ferait pour une lettre.
Cela demande en effet un peu plus de soin que l’envoi ou la publication de quinze photos prises avec un Smartphone quelques minutes plus tôt sur la plage ou dans une cathédrale. L’exercice est ardu, le choix des images étant limité et correspondant rarement à notre vécu (qui a déjà vu la place principale d’une capitale vierge de toute présence humaine?). Mais c’est précisément cela qui le rend plus personnel: le texte doit compenser le manque d’originalité d’une vue kitsch de la mer ou d’une montagne déjà répandue dans le monde entier.
Et que serait justement ce monde si nous écrivions aussi des cartes postales en dehors des vacances? Imaginons un instant que les grands partis politiques investissent les 13 millions de francs de dépenses déjà annoncés pour les élections fédérales de cet automne dans des cartes que les candidats écriraient aux citoyens en prenant le temps de la réflexion et en pensant à chaque destinataire. Quelle campagne ce serait! Ce qu’on appelle encore, quoique de manière abusive, le débat d’idées ne serait-il pas plus serein et moins idiot s’il s’exprimait à la plume au dos d’une image représentant la cathédrale de Lausanne?
Nous-mêmes, quel regard porterions-nous sur notre quotidien si, de temps en temps, nous le racontions à un proche au dos d’une banale vue de notre région? Un écureuil deviendrait peut-être aussi enthousiasmant qu’un dauphin, un moineau aussi poétique qu’un aigle et nos vies plus intéressantes à nos propres yeux. Grâce à un simple rectangle de carton voyageur.